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The Raft ou la traversée des émotions humaines

3 février 2019 0 commentaires

The Raft, le film du suédois Marcus Lindeen, débarque dans les cinémas français le 13 février 2019. C’est un film documentaire que j’ai monté en 2017, qui a remporté le Grand prix au festival danois CPH:dox 2018, a été nominé deux fois aux Guldbaggen 2019 (les Césars suédois) pour Meilleur documentaire et Meilleur montage. C’est le récit d’une expérimentation initiée par Santiago Genovese, un anthropologue mexicain, qui rêvait de découvrir les causes de la violence humaine en étudiant le comportement des passagers de son radeau au cours de la traversée de l’Atlantique.

Depuis dirais–je 2015, le cinéma et le montage de films m’ont entraînée dans une spirale de travail intense qui m’a éloignée de l’écriture romanesque, que je ne pratique plus que de façon clairsemée ces temps-ci, même si des histoires se construisent sur des bouts de papiers et des pages « open office » éparses. C’est comme ça, et je ne m’en plains pas. A chaque période son énergie. Je m’y retrouve : le monde du Raft n’est pas étranger aux thèmes qui habitent mes écritures. Ainsi, le film aborde l’expérimentation de relations humaines différentes de celles qu’offrent les sociétés humaines à travers ce voyage sur un radeau. Qui dit radeau, dit île, robinsonnade, rêve enfantin d’un monde à l’écart du monde normatif. Vie communautaire, relations ouvertes. On est au cœur des années 70. D’ailleurs, ce sont les images tournées dans les années 70 au cours de cette expédition qui ont d’abord attiré mon attention. Elles étaient si purement belles ces images 16mm ou super 8. Leurs couleurs intenses et chaudes, telles celles de la voile de l’Acali. Le cinéma est un marqueur du temps qui passe. Et ce film aborde aussi cela, en confrontant les visages des participants d’alors, jeunes gens dans la force de l’âge, aux visages des survivants d’aujourd’hui, ces 7 personnes réunies par Marcus dans un studio où a été reconstruit le radeau pour les besoins du film.

En janvier 2017, le centre Pompidou de Paris a exposé dans le cadre de son festival Hors pistes (dont la thématique était cette année là « la traversée ») une installation qui était la réplique à l’échelle du radeau de l’expédition Acali dans laquelle étaient projetées des images et des photos de l’époque. Ce radeau avait été construit pour le tournage d’un film.

Marcus Lindeen est riche de deux héritages différents. Il a travaillé à la radio suédoise comme journaliste d’investigation, il a  travaillé et écrit toujours pour le théâtre. J’ai regardé les Regretters, un extraordinaire film qui réunit deux hommes sur un plateau de théâtre, qui échangent sur leur expérience commune: né sous le sexe masculin, ils y ont renoncé, ont passé une partie de leur vie dans un corps de femme, sont revenus à leurs corps d’hommes. Au cours du film, ils font le bilan de la condition féminine, si difficile selon eux,  évoquent la solitude et la brièveté des vies humaines, les choix que chacun fait ou ne fait pas  dans sa vie en réaction aux oppressions subies, aux histoires familiales,  la liberté rêvée et rarement atteinte, thèmes que le Raft explore aussi à sa façon. Après avoir visionné ce film, j’avais grande envie de travailler avec Marcus. Nous nous y sommes mis.

Je viens de la fiction, c’est mon premier amour et je la pratique toujours. Quand je regarde les bobines numérisées des archives que Marcus a découvert sur une étagère dans une université mexicaine,  8 heures d’images muettes, tournées soit par le japonais Eisuke à la demande de l’anthropologue, soit par Mary, l’américaine, je ne peux résister de les monter comme des scènes d’un film narratif, ce qu’elles sont d’une certaine manière car elles racontent certains épisodes marquants du voyage. Il m’était évident que l’originalité du film résiderait dans le contraste entre le récit des souvenirs racontés par les survivants filmés par Marcus dans le studio, et celui tel que le racontait Santiago dans son livre sur le voyage, tout comme il existait un contraste fantastique entre les images tournées par Marcus des protagonistes devenus âgés et les images des mêmes personnes, 40 ans auparavant, chacun avouant d’une certaine façon à quel point ce voyage avait marqué ou transformé sa vie.

On a commencé à raconter le voyage, en créant de scènes comme en fiction, sauf que les images sont de vraies images et les moments filmés de véritables moments vécus. Le cinéma documentaire, mal aimé du public car mal connu (et parfois didactique hélàs) , offre une liberté formelle rarement atteinte en fiction, et trouble profondément le spectateur de part sa nature « réelle ». On est là face à la magie pure du cinéma, celui des frères Lumière face à celui de Georges Méliès. Je pense particulièrement à la scène où le fiancé de la Capitaine tente de la faire revenir, où nous avons utilisé une bande son de radio amateur retrouvée par Marcus, à celle où ils pêchent un requin et sont comme entraînés dans une furie collective, à celle où Santiago manque de se noyer par orgueil en plongeant… toutes ces scènes racontées par les moyens du cinéma, montage, musique, sons divers et…. prises de vues réelles…. et je crois qu’au final en regardant le film, on assiste au voyage comme si on y était, on est dans la tête de Santiago et on revient au présent avec les scènes de studio pour raconter ce qui n’a pas été filmé à l’époque, critiquer, rire ou pleurer au souvenir de ce voyage inoubliable et symbolique…

A lire aussi

en anglais:

http://www.nordiskfilmogtvfond.com/news/stories/the-raft-marcus-lindeen-discusses-one-of-the-strangest-scientific-experiments-of-all-time

https://www.theguardian.com/film/2019/jan/14/mutiny-on-the-sex-raft-70s-experiment-santiago-genoves

en français:

Entretien avec Marcus Lindeen

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