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Lire, écrire, l’été est là

28 juin 2014 0 commentaires

« Pourquoi un livre nous attrape-t-il,  si ce n’est parce qu’il renvoie à une part obscure de nous-même? »

Sylvie Gracia, Le livre des visages

Ceci est du blog, jailli de ce début d’été, mais de l’écriture aussi, de la pure écriture, idées jetées en pâture aux lettres d’imprimerie,  sensations exprimées, traduites en mots.

Lire. Périodes de vie, périodes de lecture. Associations dans la mémoire entre un épisode de la vie et un, ou des livres. Celui-ci est lié à un voyage en autobus au fond de l’Anatolie, celui-là à une chaleur intense qui pesait sur Paris, celui-ci à une grippe et aux fièvres qui l’accompagnaient, celui-là à une amitié terminée. Périodes fastes. Périodes sans. Temps de quête où je passe d’un monde littéraire à un autre, temps d’entêtement quand je poursuis un auteur  jusqu’à avoir été jusqu’au bout de son œuvre.

Il y a ces livres que je relis tous les 10 ans tel Ada ou l’ardeur de Nabokov, La montagne magique de Mann, Dalva de Harrison, Les mémoires d’Hadrien de Yourcenar, Austerlitz de Sebald, Guerre et paix de Tolstoi, Le voyage au bout de la nuit de Céline. Ils sont mes proches, mes chouchous, les piliers de ma vie. A eux, je mesure ma permanence, mais aussi mes évolutions, car ils m’apportent à chaque nouvelle rencontre un même plaisir ou un nouveau, le bonheur des retrouvailles, et aussi des découvertes de détails inaperçus lors d’une lecture précédente.

Ecrire. Quand j’écris, il y a toujours cette question qui me poursuit: qui vais-je intéresser ? Alors qu’il ne devrait y avoir que du plaisir. Celui du jaillissement hors de soi de pensées qu’on a besoin d’énoncer. Celui de transformer le flux d’un instant pour lui donner corps dans la durée. Celui d’organiser le chaos intérieur en une construction qui donne du sens. Celui d’être juste cet instant là, cette concentration, ce travail joyeux de la conscience.

Plaire. Ou plutôt savoir que j’ai réussi à mettre les mots qu’il fallait sur des sensations que d’autres ressentent mais ne savent, ne peuvent ou n’osent exprimer. Qu’ils me le signifient. Qu’une ambiance particulière, extraite du souvenir, ou de la digestion du souvenir, ou juste de la brume intérieure des méandres de ma tête, évoque chez une personne qui a une autre expérience du monde, la même musique, ou alors qu’elle lui permette soudain de re-voir, de comprendre, de découvrir une pensée ou une image ignorée qu’elle portait en soi. Le bonheur.

C’est ce que je cherche comme lectrice, ce que je recherche comme auteur.

Pourquoi on lit tel livre ? Et pas tel autre ? Quelles associations de hasards me/vous font soulever celui-ci plutôt que celui-là… Attraction par le titre, l’image de couverture, un conseil, un coup de tête.

Quand je relis certains livres lus à l’époque de mes vingt ans, dans l’idée de les conseiller à mon fils aîné par exemple, ou de me rafraichir les idées à leur propos, ou pour renouveler un bonheur passé, certains que j’ai adorés me tombent des mains et restent des semaines durant sur ma table tandis que je prétends que je vais les terminer. Mais je ne parviens plus à les aimer à nouveau et préfère rester sur mon souvenir. Le livre comme l’écriture qui le produit est la rencontre entre un temps donné, une illumination, une fenêtre qui s’ouvre… et le contenu-matière qu’il est. Certains vous touchent toute la vie, d’autres à certaines périodes.

Je vais me faire brève, puisque ceci est du blog.

L’été donc est venu, moment où l’on se dit qu’on a beaucoup de temps. Qu’on va lire les gros pavés qu’on a laissés longtemps en attente sur l’étagère trop élevée des jours normaux. On s’imagine dans un transat à l’ombre d’un tilleul, ou sous un parasol, dans un train qui vous entraîne vers ailleurs, ou entre les draps presque encore frais au cœur d’une nuit chaude.

Pour cet été, je vous propose quelques suggestions. En échange des vôtres.

Je dirai: Les tribulations de Maqroll le Gabier, ensemble de sept courts romans écrits par l’écrivain colombien mort cette année, Alvaro Mutis, comme son ami Marquez qui lui avait d’ailleurs dédicacé Cent ans de solitude. Ils embarqueront tous ceux qui ne sont pas allés aussi loin qu’ils le rêvaient, ceux qui aiment les aventuriers perdus d’avance, comme ces héros des films de John Huston (Le trésor de la Sierra Madre) Son univers est celui des jungles moites, des traversées maritimes dangereuses, des attentes dans des hôtels louches, des mines d’or vides… Maqroll est un errant lettré qui boit du rhum pour oublier  le travail dévastateur du temps.

Et je dirai l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir, parce que cette année a été pour moi cette rencontre de son œuvre. Les mémoires d’une jeune fille rangée, La force des choses, La force de l’âge, Une mort très douce, les Lettres à Nelson Algren, la Correspondance croisée avec Jacques-Laurent Bost, pour se plonger dans une époque qui désormais s’éloigne, des années 1920 aux années 1960, se confronter à une vie consacrée à l’écriture, revisiter son exigence, sa lucidité incroyable, sa vie-feuilleton palpitante qui vous emmène marcher dans les Alpes, traîner dans un Paris disparu, voyager au Maroc, au Mexique, dans une Grèce encore vide du tourisme, dans des amours qui se font et se défont, une vie qui se réfléchit, se critique, à travers ses choix et ses déceptions, sa quête incessante du bonheur.

Contemporain et dérangeant, mais lyrique, Mathias Enard, La perfection du tir et son portrait glaçant, mais humain, atroce, d’un jeune sniper au temps de la guerre civile qui fit exploser la Yougoslavie, Rue des voleurs, l’islamisme et les rêves d’Europe, encore un portrait de jeune homme dans la peau duquel le voyage est troublant. Et puis, L’alcool et la nostalgie pour ceux, comme moi, qui aiment la vodka russe, l’idée de traverser le continent en transsibérien et quand la langue française s’envole dans les vapeurs de la boisson et les excès de sentiments.

En bonus, Le livre des visages de Sylvie Gracia, un fascinant journal intime qui révèle autant sur ce que l’on n’ose se dire que sur celle qui l’a écrit. Avec elle, on traverse une période récente de la vie française que sont les années Sarkozy. Une femme se regarde au jour le jour et devient personnage de roman en dévoilant ses pensées. Passage de l’an tranquille à Venise, bonheur familial en Corse, traumatismes de la mort d’être aimés, c’est l’intime, ces moments où le quotidien devient romanesque grâce à l’écriture et parle alors d’universel.

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« Les meilleures choses de la vie naissent ainsi, les livres, les amours, les rencontres. Sans attente ni désir. S’imposent parce que là, devant soi, redessinant l’horizon. « 

Sylvie Gracia, Le livre des visages

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