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Retour sur Les démons de Jérome Bosch, à propos d’éthique.

22 mars 2013 0 commentaires

« L’éthique vise à répondre à la question « Comment agir au mieux ? » » est ma définition préférée. (accessible sur Wikipedia).

Ecrire sur Bosch, pour moi, c’était raconter l’histoire d’un enfant solitaire poussé à l’exigence morale par sa mère et sa propre sensibilité. De la vision de ses oeuvres se dégage une critique virulente des comportements humains qui entraînent  par leurs excès la destruction progressive du monde, des liens humains et sociaux. En première ligne, les puissants, qui montrent un si mauvais exemple en menant des vies dirigées par le principe du plaisir immédiat, modèle fatal, et en entraînant la société dans la guerre et la haine des autres, qu’ils appartiennent au monde séculier ou religieux, mais pas seulement: dans la peinture de Bosch, nous sommes tous concernés, il suffit d’aller regarder les admirables détails.

Jerome BOSCH - la nef des fous (detail)

La nef des fous, détail, musée du Louvre, Paris.

Extrait des Démons de Jérôme Bosch:

Pour Jérôme, l’élévation spirituelle était une nécessité qui allait de soi. Sa mère lui en avait très tôt inculqué l’exigence, et chaque acte de sa vie était le reflet de ses luttes intérieures entre désirs matériels et aspirations spirituelles. Mais aumônes et participation à l’intérêt commun ne suffisaient pas à lui donner bonne conscience. Nous pouvions nommer dans notre entourage trop d’hommes qui se permettaient les comportements les plus vils sous prétexte qu’ils agissaient pour le soulagement immédiat des maux humains, participant financièrement à la construction d’un nouveau puits dans la cour d’un asile ou à l’amélioration des repas d’un hospice…

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Les sept péchés capitaux, détail, musée du Prado, Madrid.

Fermant les yeux, Jérôme respira l’odeur des cires, des huiles et des vernis et il entendit éclater les rires des apprentis qu’un rien détourne de leur travail. L’appentis vide contenait sa vie future, et sans doute même sa mort.
Jérôme vit des hommes et des femmes sortir des murs les uns derrière les autres. Ils formaient une longue file qui s’enroula autour de lui comme un serpent autour d’un arbre. Ombres pullulantes de ceux qui buvaient, qui festoyaient, de ceux qui battaient leur femme ou forçaient les servantes, de ceux qui n’étaient que des ventres aux bas appétits et dont la tête était une panse, et la panse, le siège de la pensée. Il y avait ceux qui vivaient dans l’erreur, la tête en bas, la vue faussée, ceux qui voyaient les choses à l’envers de ce qu’elles devraient être, le mal pour le bien, le juste pour le faux. Le monde était un grand carnaval où tout était leurre et illusion, où l’on était trompé par les apparences, les déguisements, les masques…

Jerome_Bosch 3 visages méchants

Le portement de croix, détail, musée des Beaux-arts, Gand.

Loin des visages haineux, avides et égoistes, Bosch nous propose un modèle de vie exemplaire, celui de ces hommes qui se sont retirés de la course pour aller méditer au sein de la nature. L’harmonie issue de l’accord de l’homme avec le monde qui l’entoure est palpable dans les lumières et les visages des saints qui expriment une sérenité enviable. La question se pose du « comment agir au mieux ».

Lutter, participer ? Ou se mettre en retrait et ne pas ajouter au chaos ? Une question que je me pose  quotidiennement.

Quel sens cela avait-il de se retirer du monde ? La question tourmentait régulièrement Jérôme et revenait dans nos discussions. Je me l’étais posée dès ma jeunesse, et elle restait suspendue au-dessus de moi. Fuir la communauté humaine, s’épargner les douleurs du quotidien, se consacrer à sa propre pureté, était-ce là vraiment une attitude louable ? N’était-ce pas plutôt une forme raffinée de l’orgueil ? L’homme qui se plongeait dans le coeur de la vie et s’en sortait dignement n’était-il pas celui qui méritait d’être sauvé ? Jérôme ne savait comment répondre à cette question. Tandis que dans sa jeunesse il se promettait de combattre les tentations physiques, la luxure, la paresse, la gourmandise, celles-ci ne lui paraissaient désormais plus que comme les avatars des vrais vices : ceux qui s’emparaient de l’homme dès lors qu’il se consacrait à la poursuite  du pouvoir, qu’il fût temporel ou spirituel, mû par la certitude de détenir la vérité, de vouloir l’imposer comme unique et ainsi d’empêcher les autres d’avoir le choix de leur salut. Ce n’était que lorsqu’un individu cherchait à dominer que son rapport à ce qu’offrait l’univers sensible se détériorait, laissant cours à toutes les gourmandises, toutes les envies, toutes les violences. L’amour devenait prostitution, la paresse rendait les hommes esclaves, et les biens matériels se transformaient en nécessités vitales. Mais comment ne pas tomber dans l’orgueil de changer les autres sans commencer par soi ?

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 La méditation de saint Jean-Baptiste, Musée Lazaro Galdiano, Madrid.

Pour en savoir plus sur les ermites, un merveilleux livre: Les hommes ivres de Dieu de Jacques Lacarrière.

Et bien sur, les extraits de La Tentation de  Saint Antoine de Gustave Flaubert, que j’ai choisis de publier face aux illustrations d’Odilon Redon dans Baudelaire, Poe, Malarmé, Flaubert, interprétations par Odilon Redon.

Vous déciderez après si vous préférez les colonnes ou les grottes !

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