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Un reste d’humanité

9 décembre 2023 1 commentaire
Claire Morgan, galerie Karsten Greve, Paris dec.2023

Un texte de l’ami Khosraw Mani,( https://www.actes-sud.fr/contributeurs/khosraw-mani) publié sur FB, et qui retrace son évolution au cours de l’année 2023 m’a donné envie de me pencher moi aussi sur ce qu’a été cette année courte et longue, peu exceptionnelle, mais pleine, car Mani y évoquait la question de la mémoire, de la littérature et de la poésie, et que je ne passe pas un jour sans penser moi aussi à ce que contiennent nos cerveaux, cette idée que chaque être est unique et possède en lui tant d’images, de sons, d’odeurs, d’histoires, d’émotions que seulement certains transmettent, et seulement certains de ces certains transmettent de manière à toucher en tous des parts de vécus, de souvenirs, de vie. Nous ne somme que vie, et toute notre expérience disparait avec nous à moins que nous tentions de la transmettre, d’où ce qu’on appelle l’art.
Bref, sans rentrer dans des considérations générales, il est vrai que je pense souvent à ces matières précieuses et fragiles que sont nos expériences humaines et la trace qu’elles laissent en nous.
Nous sommes tous histoires, nés quelque part, d’un homme et d’une femme qui portaient déjà des histoires et des marques mémorielles, et nous avançons chacun sur nos chemins, larges ou étroits, plus ou moins longs, mais qui paraissent presque toujours trop courts.
Je vois mes enfants grandir et devenir des adultes, et cela me renvoie à mon âge, qui me sidère, comme il sidère chacun dès lors qu’on se compare à ses parents par exemple, et je me souviens de la sidération d’Albert Camus face à la tombe de son père, lorsqu’il réalise qu’il est plus âgé que son père lorsque celui-ci est mort… (Le Premier Homme).
Alors, ce cru 2023, comment est-il ? Pour moi, française vivant en France, une année sans guerre cernée par les guerres et la menace totalitaire. Je crois que tous nous ressentons ces temps-ci cet étau de violence qui nous entoure et nous épargne, mais pénètre sans arrêt nos pensées et nos consciences. Moi, qui dévore les films, avec un appétit toujours renouvelé, démesuré et amoureux, si je repense aux films marquants de cette année, je ne puis m’empêcher de penser à 20 jours à Mariopol, de M. Chernov, un documentaire sur le siège de cette ville ukrainienne, qui m’a durement éprouvée, à La zone of Interest de J. Glazer, pour moi LE film de l’année, qui m’a ramenée au questionnement sur la monstruosité de l’homme normal, qui obéit et accomplit son devoir sans recul et sans humanité, à Io, Capitano, le film de Matteo Garrone, et son jeune héros courageux et humaniste, dont les actes sont motivés par la morale et l’amour de l’Homme, à Totem de L. Avilès sur la maladie et l’importance de l’entraide mutuelle dans les temps de crise, à Do not expect too much from the end of the world, de R. Jude, ce film punk, libre et imaginatif, sur la déliquescence d’un pays, et la violence sociale qui engloutit l’Europe peu à peu, à The society of the snow, encore un film sur l’entraide et le partage… des films qui sans cesse m’ont renvoyée au réel, tout en me révélant des parties intimes du ressenti d’un cinéaste, cette mémoire individuelle fragile et précaire dont je parlais plus haut, qui est la matière de nos pensées, des vibrations qui nous traversent, chacun, unique, et pourtant tous semblables, qui disparaît avec nous si nous n’en faisons rien.
Du côté des livres, si importants aussi pour qui veut survivre dans ce monde d’écrits rapides, passionnels et éphémères, que nous lisons à toute heure du jour et parfois de la nuit, sur les réseaux sociaux et dans les médias, j’ai continué à explorer la liste de Elena Ferrante, ces 40 auteurs femmes, dont beaucoup m’étaient inconnues à ma grande honte: (https://actualitte.com/article/4477/vie-litteraire/les-40-livres-favoris-d-elena-ferrante-ecrits-par-des-femmes) Mieko Kawakami, Elizabeth Strout, mais j’ai fait des écarts aussi, pour voyager du coté de L’Islande en lisant l’immense J.K. Stefansson, en relisant la trilogie de Dina, de la norvégienne Herbjørg Wassmo, en dévorant la trilogie de Jane Smiley et l’incroyable roman argentin de Mariana Enriquez, Notre part de Nuit. Une année riche de ce côté-ci, les voyages dans la tête procurés par les romans… et sans ces livres, sans ces films, et parfois quelques sorties dans les musées, comment survivre à la folie du monde ? Comment se rassurer de soi en croisant chez d’autre le reflet, un peu décalé, de ses propres joies, bonheurs et angoisses humaines ?

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Commentaires (1)

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  1. Kid dit :

    Ah la trilogie de Dina ! Ah Jane Smiley !
    (Et sans la musique aussi… comment survivre ?)
    Merci pour ce texte.

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