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Parisienne

17 août 2020 1 commentaire

Ce que Paris sait de moi, je ne sais pas; mais ce que je sais de Paris me traverse chaque matin de ce mois d’août quand je pédale vers mon travail dans la fraicheur ou la moiteur. Paris s’est vidé ces jours-ci de ses habitants, je quitte ma rue désertée, j’enfourche un Vélib. Les quartiers de Paris, je n’en ai habité que peu au cours de ma vie, mais mon statut d’intermittente m’a fait travailler dans de nombreux lieux. Certaines rues que je traverse réveillent des souvenirs de périodes particulières, liées à des films, des personnes, des images.

Ces temps-ci, je descends le long du Luxembourg, la rue Guynemer où la puissante fraicheur des arbres toujours me frappe (il faudrait planter partout dans les rues de Paris au lieu d’installer des bacs à fleurs sans cesse assoiffés). Je respire l’odeur de sous-bois que diffusent les marronniers déjà très jaunes, les feuilles brunes qui jonchent les trottoirs avoisinants, qui me parlent d’automne, je prends la rue Férou où se cachent, discrètes, des demeures princières et des jardins suspendus. Je traverse le quartier Saint Germain, vide lui aussi. C’était le terrain de mes week-ends d’adolescente. Mon père y vivait, ma mère y travaillait. Certains cafés sont encore là comme la Palette et j’entends en apercevant sa façade inchangée résonner la fanfare des Beaux-Arts, qui jouait si faux. On dansait dans la rue. Danse-t-on encore dans la rue quelque part en ce monde ? Sur le parvis de l’église Saint Germain des Prés, il y avait des funambules, des jongleurs et des cracheurs de feu. Enfant, ils me fascinaient. Sur le boulevard Saint Germain, quelques rares touristes mal réveillés cherchent en vain le souvenir d’Hemingway, de Boris Vian, ou de Simone de Beauvoir. Aux Deux Magots, le café est cher et la soupe à l’oignon des anciennes cantines d’étudiants est devenue un plat bourgeois. Rue des Beaux-arts, la librairie de cinéma le Minotaure où disparaissait tout mon argent de poche en photos de stars et en monographies de cinéastes a disparu. Avec elle, tant de librairies. Le quartier semble désormais celui du vêtement semi-élégant, du chic bling bling. Il y a encore des galeries d’art, ma mère travaillait dans l’une d’elle, et la rue de Seine a peu changé, elle me touche, avec ses vitrines aux peintures écaillées, un peu vieillottes.

Je change de pont chaque matin. Pont Neuf, Petit-Pont, pont du Carrousel. La Seine miroite. Elle est belle, et les quais incroyablement harmonieux. La cour du Louvre, juste pour moi, la pyramide de verre solitaire sans les touristes chinois. La rue Croix des Petits champs, la place des Victoires. Ici j’ai travaillé. Il y avait des salles de montage, des salles d’étalonnage, ces lieux n’existent plus. Les immeubles demeurent. Plus blancs, plus riches. Rue Montorgueil, le libanais est toujours là chez qui je déjeunais régulièrement de falafels un autre été de travail et de solitude parisienne. J’aperçois non loin la Canopée qui a récemment remplacé le forum des Halles que j’ai vu se construire dans mon enfance. Nous venions les dimanches à midi avec mon père, il y avait un restaurant de couscous où nous allions déjeuner, aux murs ornés de peintures naives qui m’enchantaient.i Il a disparu quand le quartier de L’horloge est apparu. Le temps des bâtiments, je le croyais plus long.

J’arrive dans le Sentier. C’est là que je travaille ces temps-ci. Un quartier que je connaissais à peine il y a peu. Quartier de vente de tissus en gros qui me fait penser au quartier de Lyon où mon grand-père vendait des tissus. J’aime regarder les échantillons dans les vitrines et les rouleaux poussiéreux. Je me souviens des longues tables où l’on déroulait pour les mesurer ce même genre de rouleaux. Les mètres en bois dépliants, les balances à peser le courrier. J’imagine mon grand-père démarcher dans le Sentier. Placer ces bobines de galons, ses échantillons de molletons et de douillettes, ses tulles dans lesquels je cousais des robes à mes poupées. C’est fragile l’enfance, même dans le souvenir. Et les lieux sont parfois écrasants d’immobilité, d’immuabilité, ou terrifiants quand ils ont disparu entrainant avec eux le passé dans l’oubli.

Mais je suis parisienne, et l’été la ville vide est belle sous sa chape de pollution, ses vols de martinets criards, ses filles en robes fleuries. Et chaque jour, je m’extasie seule en passant la Seine.

Paris, 17 août.

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Commentaires (1)

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  1. Kidi dit :

    Je ressens cela aussi, la beauté de cette ville, comme un renouvellement, alors que j’y suis née, que j’y vis, que je n’ai jamais vécu ailleurs et que je pourrais donc trouver tout cet environnement banal. Mais il y a comme une magie. Paris doit s’inspirer des films.

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