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Montage ou « tu travailles dans le noir ? »

9 décembre 2014 1 commentaire
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Table de montage et monteuse de « Un pigeon assis sur une branche réfléchit à son existence » de Roy Andersson, septembre 2013 (avec à gauche une table Steenbeck qui tourne encore bien)

Tu fais quoi exactement quand tu montes un film ?

Tu es seule ? Tu les mets les images les unes derrière les autres ? Tu travailles dans le noir ?

Ca c’est sur, l’obscurité et l’ombre sont notre domaine, à nous monteurs.

Et si cinéma en chinois se dit « ombre électriques », le mot montage est fait de deux termes « couper/réunir » !

Pour moi, le montage est une opération magique. Encore et toujours.

C’est le lieu de la transformation, de la métamorphose.

Dans la salle de montage, on approche de l’alchimie. Si, si.

jianBien sur, tout est dans la matière filmée.

On nous donne la terre, on fabrique le bol.

Si la terre est bonne… on a des chances de faire un beau bol.

Parfois avec de la terre moyenne, on fait quand même un beau bol car on fait un bel émail dessus.

Avec de la terre de qualité médiocre, tout est possible, du pire au meilleur. Alchimie donc.

Le monteur accouche le film.

Il est face à une chevelure emmêlée, il y a passe le peigne pour y donner une forme.

On cherche le lisse, l’effacement de l’acte de la fabrication. La collure est infiniment importante, mais quand elle disparait, c’est à dire quand on la voit passer sans la voir, elle est réussie.

Si on veut la montrer pour insister sur l’affrontement de plans, ou faire ressortir le mensonge de la continuité, on fait alors en sorte qu’on la voie.

Le monteur est le joaillier.

On lui donne la pierre brute, il en fait la pierre précieuse.

J’ai promis une description du travail. Voilà, j’essaie.

Au tournage, on filme des morceaux: les plans.

On filme la même action avec des tailles de plan différentes (plan large, plan moyen, plan serré: à ce stade, si vous ne comprenez rien, je vous renvoie à l’abécédaire que j’ai écrit…) Le cinéma s'affiche couv petiteou filmés de points de vue différents (scène vue d’une fenêtre, d’un trou de serrure, de l’épaule d’un personnage…).

L’acteur ne joue pas pareil, ne bouge pas pareil quand il sait qu’on filme sa bouche ou qu’on le filme dans un large paysage. L’impression ressentie n’est pas la même face à un personnage filmé du sol, ou filmé de face.

Le film est conçu dans la tête du réalisateur. C’est un rêve en devenir.

Le réalisateur filme les moments qui font son histoire dans le désordre, selon les décors, selon le planning des comédiens. Il se confronte au réel de lieux, de personnes, à des accidents, des hasards.

Tout cela arrive en vrac au montage.

En fiction, la matière est numérotée dans l’ordre du scénario.

Au montage, pour commencer, on met dans l’ordre du scénario.

Pour la première fois on va VOIR la matière filmée telle qu’elle a été pensée.

Parfois, la plupart du temps… tout ne fonctionne pas avec l’ordre prévu. IMG_0710

Alors on va retravailler le récit dans un autre sens. Mettre une scène avant l’autre donne plus d’informations et donc de suspense. Une autre scène avancée permet de plus s’attacher au personnage.

Parfois on déplace une scène et tout s’effondre.

C’est comme du kapla.

Un film, c’est un objet fragile.

Il faut l’apprivoiser, l’écouter comme un arbre dont les feuilles bruissent. L’équilibre, et le rythme spécifique à ce film là.

Chaque film est unique.

On peut couper des scènes merveilleuses si elles n’ont pas leur place dans l’ensemble.

C’est douloureux pour celui qui a écrit et mis en scène cette scène.

Le monteur l’aide à faire le deuil.

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table de montage de « Meurtre à Pacot » de Raoul Peck, juillet 2014

Souvent, on travaille chaque scène de l’intérieur pour lui faire rendre son jus, son sens, ce qu’elle a d’essentiel.

Cela se fait avec le choix du point de vue, des cadres, les trous ou les continuités.

En documentaire, le montage est un peu différent.

On a souvent beaucoup de matière (Mortelle Assistance, 300 heures tournées sur 3 ans) et il faut en piochant dedans fabriquer un film qui soit juste, émouvant, parfois fort comme un coup de poing sur la table. Le fil rouge peut être la chronologie, la proposition d’idées, comme en dissertation, de personnages. Les procédés vont être le contraste entre le texte et les images, les images entre elles. Un film peut se faire avec quelques bouts de fil, ou beaucoup de tissu.

Magie, magie. IMG_0738

Dans le cinéma de Roy Andersson, un film peut se constituer de 40 plans-séquences.

En moyenne pourtant, un film de 90 minutes est fait de 1000 à 1500 plans et le monteur a beaucoup  de responsabilité dans la fabrication.

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Table de montage de « Un pigeon assis sur une branche réfléchit à son existence » de Roy Andersson, septembre 2013

Avec Roy, c’est un curieux de travail: visionner chaque prise (parfois 30 ou 50 prises de la même action) de cette scène.

Il faut choisir, puis lui trouver une place par rapport aux autres scènes.

Trouver son début optimal et sa fin.

Dans ce cinéma là, le monteur est juste un tout petit maillon. Il pèse peu, mais il est au côtés du réalisateur pour faire les choix.

Ne pas avoir peur de faire des choix est  essentiel pour un monteur.

Et trouver des idées alternatives quand ce qui a été prévu ne marche pas.

Je ne suis pas une personne forcément sûre de moi dans la vie courante, mais en montage, je ressens les longueurs, les temps qui vont trop vite, qui sont en trop, les manques, et je fais totalement confiance en mes sensations.

Quand j’ai commencé à travailler, c’était avec de la pellicule.

On la tenait à la main, on mettait des gants blancs, on la coupait et on la scotchait.

Une longueur correspondait à une durée. C’est fini. On ne travaille plus avec de la pellicule film. En quelques années, elle a disparu.

Les plans sont sur un écran d’ordinateur et on appuie sur des touches de clavier pour signifier qu’on coupe, qu’on colle, qu’on déplace, qu’on raccourcit… mais c’est le même travail. Pourtant parfois la nuit je rêve que je manipule de la matière. Je roule des bobinots avec ce mouvement inoubliable de l’avant bras, je déroule quelques centimètres pour regarder les photogrammes…

montage mon beau souci

image citation de Jean-Luc Godard dans Histoire(s) de cinéma

Pour devenir monteur-c’est comme lire pour devenir écrivain-, il faut regarder beaucoup de films, de tous genres et toutes époques, ne pas se laisser formater, la musique je crois est un bon atout, une mémoire d’éléphant, de la patience, et surtout l’amour du cinéma et la confiance en son propre jugement. Pour devenir monteur, il faut avoir envie de se couler dans l’ombre et dans l’univers des cinéastes. Il faut croire en l’alchimie qui permet de transformer le temps tel qu’il est enregistré par les caméras en un temps artificiel, « image temps, image mouvement », qui est celui du film. Et c’est tout.

Commentaires (1)

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  1. constant virginie dit :

    merci pour cette petite visite bien intéressante

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